La nouvelle loi sur la laïcité (LLE) proposée le 26 avril 2018 par le Grand Conseil comprend des éléments positifs qui montrent un souci d’équité : des dispositions sur l’accompagnement spirituel égales pour l’ensemble des communautés religieuses, et non pas seulement réservées à quelques-unes parmi elles ; la prise en compte de la nécessité de lutter contre l’analphabétisme religieux dans le cadre de l’instruction publique … Autre élément louable, le texte insiste : « La neutralité religieuse de l’Etat interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l’absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d’appartenance religieuse ou non. » (Art.3-2)
Ce traitement égal ne devrait-il pas signifier que chacun demeure libre d’occuper l’espace public selon ses convictions ? Or, les alinéas qui suivent visent clairement à réduire cette liberté fondamentale, au nom d’une neutralité que l’on veut imposer aux individus en remettant en cause leurs convictions intimes et personnelles, quand en réalité, cette neutralité ne devrait être prise en compte que dans l’exercice inhérent à leur fonction : on demandera ainsi logiquement à un(e) élu(e) d’éviter de se servir de sa tribune municipale pour donner des prêches, mais au nom de quel droit l’empêcherait-on de pratiquer publiquement sa foi ? Dans une société libre, nous ne devrions jamais être tenus d’uniformiser nos apparences, ni de décréter arbitrairement que l’une pose problème, pour autant que l’on veuille bien admettre que la neutralité du fonctionnaire est exigible au niveau de son action, pas de son apparence. Il y a là une intrusion dans la sphère protégée des libertés individuelles et une confusion que favorise actuellement une islamophobie diffuse. Trois alinéas suivent qui visent ainsi à interdire les signes extérieurs signalant une appartenance religieuse non seulement aux fonctionnaires de l’Etat, mais aussi aux membres élus du Grand Conseil et des Conseils municipaux ! Dans une saine démocratie, une élue devrait avoir le droit de siéger en assemblée comme elle s’est présentée à ses électeurs ! Aux Etats-Unis, au Canada et dans bien d’autres pays, cela semble évident !
Il y a quelques années, la Suisse a voté majoritairement en faveur d’une mesure clairement discriminatoire à l’encontre des musulmans : l’interdiction de la construction des minarets. Certains cantons, dont celui de Genève, avaient cependant pris position contre cette décision, montrant que beaucoup ont compris le piège qui leur était tendu : celui proposé en Europe par les partis d’extrême droite, qui voient dans les musulmans un bouc émissaire idéal pour récolter des voix dans un climat de peur.
Optons donc pour une laïcité inclusive apaisée, où le juif, le chrétien, le musulman, où tout homme de conviction religieuse ou libre penseur agissent en se conformant aux valeurs républicaines qui leur sont communes, et s’engagent sereinement dans un dialogue enrichissant sur tout ce qui fait leurs différences.
Entre la peur de l’autre, et le respect du prochain, faisons le bon choix !
Hani RAMADAN
Directeur du Centre Islamique de Genève
Tribune de Genève, L’invité, 11 janvier 2019