« Je n'accepte pas qu'un dirigeant étranger me donne des leçons sur la façon dont je gère mon pays, donc je n'en donne pas aux autres. » Voilà l’une des réponses que le Président Macron a cru bon de donner aux ONG qui lui demandaient de rappeler au militaire as-Sissi qu’il existe des principes qui s’appellent les droits de l’homme. Tiendrait-il le même discours devant un Franco, où plus actuellement devant les autorités birmanes ? C’est d’ailleurs une règle à géométrie variable qu’il ne respecte pas lui-même : le 29 août dernier, il avait qualifié le régime vénézuélien de « dictature », lors d’un discours tenu devant des ambassadeurs français réunis à Paris. Pourtant, il est évident qu’un grand nombre de chefs d’inculpations pourraient être énoncés par un procureur intègre à l’encontre du maréchal Sissi :
- Sissi a menti quand il a fait savoir qu’étant un militaire, jamais il ne se présenterait à la magistrature suprême, laissant cette fonction aux candidats de la société civile. Puis l’homme est revenu sur ses dires, prenant le pouvoir par un coup d’Etat conduisant aussi bien à l’incarcération du Président Morsi qu’à la dissolution du parlement égyptien.
- Sissi s’est livré à de véritables massacres, réprimant dans le sang les manifestations pacifiques réclamant le retour du processus démocratique : les tués se comptent par milliers, le nombre des personnes emprisonnées dépasse aujourd’hui 60 000 victimes, la torture est largement pratiquée.
- Sissi a fermé tous les organes de presse et les médias susceptibles de critiquer ouvertement la dictature qu’il a mise sur pied. Qui connaît, par exemple, Hisham Gaafar, 53 ans, directeur de la Fondation Mada pour le développement des médias ? Amnesty international a lancé récemment ce cri d’alarme : « Le 21 octobre, cela fera deux ans que Hisham Gaafar est maintenu en détention. Détenu dans des conditions inhumaines et à l’isolement prolongé, son état de santé est alarmant. » Or, il s’agit là d’un cas parmi des milliers d’autres, en temps réel, alors que le tyran est reçu en grande pompe à l’Elysée !
- Sissi se sert du prétexte terroriste pour justifier la terreur d’Etat qu’il impose, tout comme le fait encore Bachar el-Assad en Syrie, afin de légitimer des actions d’une violente inouïe. Les habitants de la région du Sinaï, dont certains ont été froidement tués sans aucun jugement, ont vu ainsi leurs maisons détruites, leurs biens saccagés. Mais c’est à ce despote que la France vend ses armes et ses Rafale, ce qui constitue en fait le fond de la question…
Car existe-t-il un seul argument humaniste valable, quand l’intérêt économique des élites d’une nation est en jeu ? Il est des bénéfices et des avantages que l’on ne retire qu’en fermant les yeux. Un président français n’est pas tenu d’être gaulliste désormais. Tant il est vrai qu’il est passé, le temps des idéaux de la résistance. Voici venu celui de la finance.
Hani RAMADAN
Directeur du Centre Islamique de Genève
Tribune de Genève, 3 novembre 2017