La fête musulmane liée au pèlerinage a été lourdement endeuillée par les informations qui nous viennent de Birmanie, faisant état d’une répression sanglante à grande échelle, menée en quelques jours contre la minorité musulmane des Rohingyas. Cela fait des années que l’ONU clame que les habitants de l'Etat de Rakhine constituent l’une des minorités les plus persécutées au monde. Les persécutions continuent.
Menacés d’extermination, des hommes ont choisi de prendre les armes pour défendre familles et enfants. Ils ont aussitôt été qualifiés de rebelles par l’AFP, qui cherche à leur attribuer la responsabilité de cette répression en affirmant : « Les violences ont commencé après l'attaque vendredi dernier (25 août) d'une trentaine de postes de police par la rébellion naissante, l'Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA). » Mise en perspective trompeuse : ce groupe s’est constitué pour ne pas mourir dans des conditions atroces. Les agressions bouddhistes répétées étaient depuis longtemps en cours.
Même les témoignages donnés, alors qu’il existe à présent des milliers de preuves, sont mis en doute par l’AFP : « Originaire du village de Kyet Yoe Pyin, une jeune Rohingya a raconté le cauchemar qu'a vécu son village quand l'armée est arrivée. "L'armée et des complices bouddhistes sont venus dans notre village et ont cruellement assassiné les hommes, les femmes et les enfants", a confié par téléphone à l'AFP, cette jeune Rohingya de 23 ans, tout juste réfugiée à Cox's Bazar au Bangladesh. L'AFP n'a pas pu vérifier ces informations. » C’est cette dernière phrase qu’il convient de souligner.
Comble de la désinformation, et afin de faire de ce qui est à l’origine le massacre programmé des musulmans un conflit ethnique, l’AFP avance, en se référant à la propagande de l’armée birmane à l’origine de ces exactions : « Des centaines d'autres villageois de l'ethnie rakhine, bouddhistes, ont également fui leurs habitations pour rejoindre les villes birmanes hors de la zone des troubles. » Informations qu’il ne semble pas nécessaire de vérifier.
Et pour couronner le tout, l’AFP rapporte : « Une commission internationale dirigée par l'ex-secrétaire général de l'ONU Kofi Annan a récemment appelé la Birmanie à donner plus de droits à sa minorité musulmane des Rohingyas, qui compte environ un million de personnes, faute de quoi elle risque de "se radicaliser". »
Et ajoute : « Mais le pouvoir birman, emmené par l'ex-dissidente Aung San Suu Kyi, est jusqu'ici sur une ligne dure, dans le sillage de l'armée. La lauréate du prix Nobel de la paix a accusé lundi les "terroristes" rohingyas, qui mènent ces attaques meurtrières dans l'ouest du pays, d'utiliser des enfants soldats et de mettre le feu à des villages. »
Comment ne pas voir dans cette façon biaisée de présenter les choses, une orientation argumentative qui est là pour donner aux journalistes la matière qui leur permet de faire comprendre ce message : les Rohingyas sont massacrés, certes, mais ils ont pris les armes, ont menacé des bouddhistes, ont agi de façon terroriste (les guillemets nuancent le propos, mais puisqu’une lauréate du prix Nobel de la paix le dit, pourquoi en douter ?), ce qui confirme qu’ils se sont radicalisés !
Voilà donc la formule, qui n’est finalement pas si nouvelle :
1) L’agresseur commet des atrocités contre des populations civiles.
2) La communauté internationale s’en émeut à travers les déclarations de l’ONU, mais ne fait rien pour arrêter l’agression.
3) La communauté musulmane sur le terrain se défend pour sauver ce qui peut l’être.
4) Retournement progressif : après avoir été considérée comme rebelle, elle est bientôt qualifiée de radicale et de terroriste.
Ce scénario est connu : les Palestiniens l’ont subi depuis les premières années d’occupation et d’exil (on les a aussi accusés absurdement d’utiliser «des enfants soldats»). Plus récemment, les Syriens en ont goûté l’horreur. Et cela continue !
Les journalistes qui s’expriment de cette façon se rendent ainsi complices des odieuses justifications derrière lesquelles se cachent des gouvernements coupables. Une façon écœurante, au fil des années, de rendre la barbarie ordinaire.
Hani RAMADAN
Directeur du Centre Islamique de Genève
Tribune de Genève, La Lettre du jour, 8 septembre 2017