S’il est toujours utile de reconnaître une faute, il est en revanche absurde de corriger une erreur par une autre. C’est bien dans cette logique-là que s’inscrit le propos de Patrice Mugny, quand il nous livre un discours sur « l’islam politique » et sur le Coran pour aboutir à une conclusion des plus surprenantes, justifiant l’interdiction du voile pour les fonctionnaires musulmanes.
Les contradictions qu’il pense découvrir dans le Coran n’existent pas. Certes, j’y lis : « Et tuez-les, où que vous les trouviez, et expulsez-les d'où ils vous ont expulsés. » Cependant, outre le fait que ce passage ne désigne pas les juifs et les chrétiens, mais les polythéistes belliqueux hostiles à l’islam naissant, il doit être compris dans son contexte. Le verset précédent affirme en effet : « Et combattez dans la voie de Dieu ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Dieu certes n'aime pas les transgresseurs! Et tuez-les, où que vous les trouviez…» (2, 190-191) Avec ceux qui ne partagent pas leur foi, les musulmans se doivent de se conformer au verset suivant : « Dieu ne vous défend pas d'être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Dieu aime ceux qui sont équitables. » (60,8) Le débat récent où il était question de supprimer des passages du Coran pour permettre aux musulmans de s’émanciper relève de la même approche : on prétend modifier un texte que l’on ne comprend pas dans sa globalité. C’est exactement corriger une erreur par une erreur.
C’est d’ailleurs souvent en prêtant au voile que portent les musulmanes une dimension politique que l’on s’y oppose. On projette sur le voile mille appréciations subjectives (symbole politique, indice de soumission à la gent masculine), puis on rejette ce que l’on imagine en voulant l’interdire. Là encore, on corrige l’erreur par l’erreur !
Bien sûr, il est appréciable que Patrice Mugny reconnaisse qu’une élue dans un parlement devrait pouvoir porter son voile. Mais pourquoi donc vouloir l’interdire ailleurs ? Les partisans de la nouvelle loi l’expliquent : au devoir de neutralité des fonctionnaires de l’Etat « s’ajoute, pour les collaboratrices et les collaborateurs en contact avec le public, le devoir de s’abstenir de signaler leur appartenance religieuse. » Or, c’est un sophisme de confondre la religion d’une personne, ce qu’elle ne devrait jamais avoir à cacher, et la fonction qu’elle exerce de façon neutre avec l’ensemble des citoyens. Cette mesure va contre la Déclaration des droits de l’homme qui stipule en son Article 18 que toute personne a le droit de pratiquer sa religion, tant en public qu’en privé.
N’en déplaise à Patrice Mugny, il est évident que ce principe est remis en cause spécifiquement en ce qui concerne les musulmanes, victimes d’une vague d’islamophobie qui touche l’Europe et conduit à rendre admissibles des mesures discriminatoires et restrictives qui remettent en cause des libertés fondamentales « conquises de haute lutte. »
Hani RAMADAN
Directeur du Centre Islamique de Genève
Tribune de Genève, L'invité, 12 juin 2018