Deux approches de l’islam sont à éviter, si l’on veut s’en tenir à un dialogue objectif de civilisations : corriger l’erreur par l’erreur, ce dont nous avons déjà parlé dans un précédent article (dire par exemplaire que le voile de la musulmane est un symbole politique, puis le rejeter en tant que tel, alors qu’il est question d’une pratique religieuse protégée par l’article 18 de la Déclaration des droits de l’homme) ; et parler de certains aspects de la loi islamique, sans comprendre que celle-ci ne peut s’exercer que dans sa globalité. Certes, Andrés Allemand (éditorial, TDG 18-9-2018) a le mérite de relever que le Coran offrait aux femmes des droits, à une époque où celles-ci n’en avaient guère. Et d’avancer que les musulmans devraient dans le même état d’esprit renoncer à suivre de près le texte coranique !
Le Coran contient effectivement l’énoncé suivant : « Dieu vous enjoint en ce qui concerne vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles. » (Coran, 4, 11) Voilà l’un des passages clés qui permettent à beaucoup de relever l’incontestable supériorité de l’Etat laïque sur le modèle archaïque musulman ! Et pourtant.
Bien sûr, une société dite moderne où la femme est tenue de subvenir à ses propres besoins, se doit d’attribuer à celle-ci les mêmes droits successoraux. Conséquence de la libération présumée des femmes! L’islam, quant à lui, n’interdit pas à la femme de travailler, mais il lui accorde aussi un autre droit : celui de ne pas travailler. Ici, il convient de considérer la question de l’héritage selon la conception de la famille préconisée par le Coran : l’homme a l’entière charge du foyer. Il doit subvenir aux besoins alimentaires, vestimentaires et vitaux non seulement de son épouse, mais aussi de leurs enfants. Cela comprend également l’habitat et l’ensemble des frais qui touchent la maisonnée. C’est dans ce contexte que la double part d’héritage attribuée aux hommes prend son sens ! La femme, elle, même si elle dispose d’une fortune personnelle considérable, n’a pas à débourser le moindre centime dans le cadre familiale, à moins qu’elle le fasse de bon gré pour aider son conjoint.
Deux observations encore. On peut s’interroger sur l’idéal que l’on propose aux femmes aujourd’hui, contraintes très souvent de mener un combat difficile entre le monde du travail et la vie familiale. Ce modèle n’est-il pas quelque part responsable de la déstructuration lente mais sûre des familles ? N’est-il pas la cause d’un manque d’éducation, laissant les enfants à eux-mêmes ? S’agit-il vraiment d’une libération égalitaire par l’emploi ? A ce titre, soit dit en passant, toutes les revendications féministes sont légitimes !
Enfin, les règles de l’héritage en islam sont complexes. Dans bien des cas de figure, la femme hérite plus que l’homme. Exemple : si le défunt laisse une épouse, deux filles et un frère, alors l’épouse prend le huitième de l’héritage, les deux filles se partagent les deux tiers et le reste revient à leur oncle. Ainsi, chacune des deux filles hérite plus que le propre frère du défunt. Dialoguons, oui. Mais méfions-nous des raccourcis !
Hani RAMADAN
Directeur du Centre Islamique de Genève
Tribune de Genève, Lettre du jour, 22-23 septembre 2018