Le président Erdogan, dictateur dangereux ou humaniste convaincu ?

Erdogan

Recep Tayyip Erdogan, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, lors de la réunion de Lviv où a été discuté le déblocage des cargos chargés de céréales ukrainiennes. — © Evgeniy Maloletka / keystone-sda.ch


Le moins que l’on puisse dire est que la presse et les médias, en Occident, ne sont pas très favorables au président Recep Tayyip Erdogan. 

Sur le plan de sa gouvernance d’abord. Depuis son élection, on n’a jamais cessé de parler de « dérive autoritaire », tout en dénonçant un contrôle total de l’appareil politique depuis Ankara. Bref, le régime d’Erdogan serait assimilable à une dictature, d’autant plus dangereuse que l’homme est issu de la « mouvance islamiste », et qu’il a affiché son soutien aux Frères musulmans d’Egypte, contre le coup d’Etat militaire qui a destitué le président Mohamed Morsi. On oublie de considérer qu’Erdogan a été légitimement élu, qu’il a été confronté à une tentative de coup d’Etat militaire avortée, que son pays a été visé plusieurs fois par des attentats. Rappelons qu’à ce jour, l’Union européenne considère toujours le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) comme une organisation terroriste, alors que la presse a une fâcheuse tendance à inverser les rôles, en estimant que c’est l’orientation politique turque qui est à l’origine de ces tensions. Rappelons que le prétendu « dictateur » affrontera bientôt de nouvelles élections. En 2018, Erdogan avait remporté, dès le premier tour, l’élection présidentielle avec 52,6% des suffrages. Et il a annoncé plusieurs fois que les scrutins présidentiel et législatif auraient bien lieu en juin 2023, comme l’a prévu le calendrier électoral officiel. 

Sur le plan du nationalisme turc qui prendrait le dessus sur toute considération humaniste ensuite. Des reportages nous montrent ainsi des citoyens turcs exacerbés par la présence de réfugiés syriens. Sans nier cette réalité, il reste toutefois une tradition d’accueil de cette région de l'Anatolie, majoritairement solidaire de ses voisins fuyant la guerre. On oublie que la Turquie, comme le signale la très sérieuse plateforme de recherches Statista, « située aux portes du continent et au carrefour des turbulences migratoires, est le pays qui héberge le plus grand nombre de réfugiés et de demandeurs d'asile : soit environ 4 millions en 2021, ce qui représente 48 pour 1 000 habitants. » Il est remarquable d’observer, par ailleurs, que le programme d’Erdogan prévoit certes un retour d’une partie des Syriens chez eux, mais uniquement dans les zones démilitarisées et sécurisées, sans risque pour les populations civiles. Aucune autre nation n’a offert, à ce jour, une aide aussi considérable à un peuple voisin.

Sur le plan des alliances enfin. La presse et les médias n’ont pas hésité à présenter le trio Erdogan, Poutine et Rohani comme étant le symbole de l’union de régimes peu recommandables, face aux modèles étasuniens et européens, garants de l’Etat de droit ! Position qui ne peut qu’alimenter les tensions et ne favorise surtout pas le dialogue. Par ailleurs, cet éclairage primaire manque singulièrement de subtilité : la Turquie, membre de l’OTAN, a su conserver cependant des liens diplomatiques étroits avec ceux que l’on voudrait mettre au ban des nations. Et cela, non pas en vue de basses manœuvres impérialistes visant à occuper ou exploiter la terre d’autrui, non pas dans le but de se faire réélire seulement, mais surtout par humanisme. La Turquie a été ainsi le seul pays capable de conduire, le 22 juillet dernier, la Russie et l’Ukraine à un accord sur l’exportation des productions agricoles nécessaires à la survie de millions d’individus ; et cela, sous l’égide des Nations unies. Le 18 août 2022, la presse officielle relevait que 25 navires chargés de céréales avaient quitté l'Ukraine depuis les ports d'Odessa, de Pivdenny et de Tchornomorsk, avec plus de 600000 tonnes de produits agricoles. 

Reste cette question : pourquoi est-il donc si difficile – pour nos responsables politiques et nos journalistes notamment – de reconnaître qu’un président musulman (islamiste si cela vous fait plaisir) est capable de respecter des échéances électorales, de mener une politique d’accueil inégalée, et d’être à l’origine de la distribution de tonnes de céréales, afin de repousser la menace de la famine et pour le bien de l’humanité ?


 Hani RAMADAN

Directeur du Centre Islamique de Genève

Le Temps,  Opinion, 9 septembre 2022


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