Libération ou exploitation, la question se pose
Les musulmans éprouvent de grandes difficultés à se positionner en ce qui concerne l’intervention spectaculaire des Français au Mali. Cela s’explique par le souvenir des humiliations coloniales, et par une méfiance que leur dicte le sentiment qu’ils ont de ne pas comprendre ce qui arrive réellement dans cette région africaine. A cela s’ajoute une série d’interrogations légitimes, qui traduisent autant de malaises.
Considérez avec quelle rapidité le gouvernement français est entré en guerre, sans se heurter au moindre obstacle, rencontrant l’approbation de tous; et avec quelle lenteur, au contraire, le peuple syrien est abandonné depuis vingt-deux mois, sans aucune réaction efficace. Selon l’ONU, les violences ont fait à ce jour plus de 60 000 morts.
Autre remarque: le journal Al Watan a relevé que «c’est curieusement le jour où devaient s’ouvrir, à Ouagadougou, les discussions entre les représentants du gouvernement malien, d’un côté, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et Ançar Eddine, de l’autre, que le coup de grâce a été donné au processus politique». Cela, alors qu’un soutien réel aux révolutionnaires syriens a été lamentablement repoussé sous prétexte qu’il était nécessaire de donner une chance à d’interminables négociations avec le dictateur de Damas.
On prétend que la France ne fait que répondre à une demande du président malien. Mais on omet de préciser que ce dernier ne dispose d’aucune légitimité démocratique. Il a été porté au pouvoir après un coup d’Etat militaire en mars 2012, et a bénéficié de l’aide de la France, précisément.
Le Mali est-il vraiment seulement ce désert habité par des pseudo-islamistes armés jusqu’aux dents, qui, de leurs dunes, menacent Paris? Ou bien regorge-t-il d’or, d’uranium, de pétrole, de ressources prodigieuses dont il faut protéger l’exploitation au profit des puissants et aux dépens de leurs propriétaires légitimes, les Maliens, maintenus dans la pauvreté malgré la richesse potentielle de leur pays ?
Certes, l’argument de «la civilisation contre la barbarie» est avancé pour justifier une opposition farouche aux «islamistes», aux «djihadistes», à tous ces «istes» qui riment avec terroristes. Presse, médias et gens de pouvoir s’accordent pour relever la légalité de l’opération française. Mais comment ne pas douter de ces nobles intentions lorsque l’Occident, depuis des décennies, reste insensible à l’agonie de nations martyrisées ?
Une remarque encore: ces dangereux «terroristes» – il est bon de répéter, comme tout le monde, ce mot pour rendre acceptables, aux yeux de l’opinion publique manipulée, des actions militaires d’une telle envergure – ont aussi des familles, des femmes et des enfants, n’est-ce pas? Combien de morts, combien de vivants, ne serait-ce que pour témoigner de ce qui s’est passé, et nous assurer que le respect des Conventions de Genève concerne aussi ces êtres humains-là ?
Hani RAMADAN
Directeur du Centre Islamique de Genève
24 Heures - L'invité, 31 janvier 2013