L'affaire Oriana Fallaci

Le Courrier,21 juin 2002 :
Plainte contre Oriana Fallaci

Le Centre islamique de Genève demande l'interdiction de son livre «La Rage et l'orgueil».

Le Centre islamique de Genève (CIG) a déposé une plainte auprès du procureur général genevois Daniel Zappelli contre Oriana Fallaci, auteur de La Rage et l'orgueil. Le CIG demande la saisie et l'interdiction de cet ouvrage.

Les propos « racistes » contenus dans ce. livre, sorti en décembre dernier en Italie et en mai en France, contreviennent aux articles 261 et 261 bis du Code pénal, a indiqué jeudi le CIG dans un communiqué. Le Centre islamique estime que les termes de Mme Fallaci «insultent l'ensemble de la communauté musulmane ».

Le «Comité pour le respect du droit des musumulmans», un Organe du, CIG fondé en mars de cette année, est décidé à répondre à tous les écarts publics de langage. «La communauté juive agit ainsi pour défendre la dignité de ses membres. Nous l'approuvons entièrement et sommes décidés à faire de même», a déclaré le directeur du CIG.

Ce comité exige que Mme Fallaci, ainsi que toutes les personnes impliquées dans la diffusion de son livre, de façon directe ou indirecte, soient poursuivies. Il demande également «la saisie immédiate de l'ouvrage et son interdiction de vente ».

PROCEDURE EN FRANCE

En France, l'auteure de La Rage et l'orgueil a été assignée en justice par divers mouvements contre le racisme. Lors d'une audience mardi, le Parquet de Pa ris s'est opposé à la demande d'interdire «en référé» (en urgence) le livre de la joumaliste italienne, en raison de la large diffusion déjà atteinte par l'ouvrage.

Mais le représentant du parquet, Pierre Dillange, a aussi estimé que les propos contenus dans ce livre constituaient «incontestablement un amalgame inadmissible.». Il a souhaité que le dossier soit renvoyé au tribunal correctionnel pour un jugement sur le fond des accusations de «provocation à la haine raciale». Le juge des référés rendra sa décision vendredi.

Dans son livre, Oriana Fallaci, 72 ans, se livre à une violente diatribe contre les islamistes mais aussi conne les musulmans résidant en Europe. Elle reproche aux immigrés musulmans de «se multiplier comme des rats»; leur impute la prostitution et la criminalité et les accuse de dégrader les monuments publics.

ATS


Le Temps, 21 juin 2002 :
Des musulmans genevois portent plainte contre Oriana Fallaci

L'ouvrage d'Oriana Fallaci, La rage et l'orgueil, déjà vendu à plus d'un million d'exemplaires en Italie où il a été initialement publié, n'en fini pas de provoquer de vives réactions. Mais pas seulement en Italie, en France ou aux Etats-Unis. Le Centre islamique de Genève a déposé, mercredi, une plainte pénale auprès du procureur général Daniel Zappelli contre la journaliste italienne de 72 ans, domiciliée actuellement à New York. Le procureur, qui confirme avoir reçu la plainte, se refuse à tout commentaire.

En substance, les plaignants estiment que le livre incriminé contrevient, par ses propos racistes, aux articles 261 et 261 bis du Code pénal suisse. Aussi, le Comité pour le respect du droit des musubnans, organe du Centre islamique, exige qu'Oriana Fallaci ainsi que toute personne impliquée dans la diffusion directe ou indirecte de l'ouvrage soient poursuivies. Il demande aussi la saisie immédiate du livre et son interdiction de vente.

Pour justifier la saisie du Parquet genevois, l'avocat de la partie civile, Alain Bionda, en voyage à Bagdad, a pu confirmer au Temps que c'est avant tout une plainte contre les diffuseurs suisses du livre, publié en français par les éditions Plon. De son côté, Hani Ramadan, directeur du Centre islamique, précise que six pages de citafions ont été remises au procureur général. «L'oeuvre d'Oriana Fallaci est calamiteuse. Elle confient des éléments pernicieux, voire même scatologiques qui blessent profondément la communauté musulmane. La journaliste y fait des amalgames inacceptables», s'insurge Hani Ramadan.

Le directeur du Centre dénonce plusieurs passages du livre. Notamment des phrases telles que «les fils d'Allah se multiplient comme des rats», ou encore, au sujet des musulmans, «des Messieurs qui, au lieu de contribuer au progrès de l'humanité, passent leur temps avec le derrière en l'air à prier». Il esttme que ces propos sont susceptibles de trouver un écho et qu'ils contribuent à étayer la thèse, qu'il ne partage pas, du choc des cultures selon laquelle la confrontation est inévitable.

La plainte pénale déposée à Genève s'ajoute aux multiples assignations en justice pour «racisme» dont fait l'objet Oriana Fallaci en France. Toutefois, La rage et l'orgueil étant déjà largement diffusé, le Parquet de Paris s'est, mardi, refusé à l'interdire.

Pour tenter d'illustrer les dégâts occasionnés à la communauté musulmane, Hani Ramadan soulève une question provocatrice : «Et si, dans le livre en question, on remplaçait «arabes» par «juifs», quelles en seraient les conséquences ? Les juifs se défendraient et ils auraient raison de le faire. Les musulmans doivent prendre exemple sur eux.»

Les propos d'Oriana Fallaci sont-ils susceptibles de porter préjudice à la communauté musulmane de Suisse ? Hari Ramadan ne le pense pas. Pour lui, la Suisse n'est, à quelques excepfions près, ni antisémite, ni islamophobe. «C'est un pays qui demeure ouvert et équilibré. Mais c'est justement pour cette raison, pour poursuivre ce dialogue interculturel, que nous. dénonçons le parti pris obsessionnel de l'ouvrage.»

Stéphane Bussard


La Tribune de Genève, 21 juin 2002 :
Le Centre islamique demande l'interdiction du pamphlet de Fallaci

Pour Hani Ramadan, l'ouvrage est clairement une atteinte à la liberté de croyance.

On le sentait venir, la justice française ayant déjà été saisie. C'est maintenant chose faite chez nous. Le Centre islamique de Genève, dirigé par Hani Ramadan a déposé plainte pénale auprès du procureur général genevois contre Oriana Fallaci, auteur italienne du livre controversé La rage et l'orgueil. La plainte pour atteinte à la liberté de croyance et des cultes ainsi que pour discrimination raciale (des infractions qui se poursuivent d'office, sur dénonciation) vise non seulement l'écrivain, mais aussi l'éditeur milanais, l'éditeur parisien ainsi que le distributeur suisse.

Le comité pour le respect du droit des musulmans, organe du Crentre sis aux Eaux-Vives, a aussi demandé à la justice genevoise que des mesures provisionnelles urgentes soient prises visant à la saisie de l'ouvrage et à son interdiction de vente. Une demande qui est formulée au terme de la plainte pénale adressée au procureur général Daniel Zappelli, mais qui ne semble pas avoir été adressée, comme il le faudrait, au Tribunal de première instance. Dans l'état actuel des choses, un séquestre pénal n'est pas envisageable.

Selon le signataire Hani Ramadan, l'ouvrage d'Oriana Fallaci sorti en français le mois dernier est « systématiquement haineux, insultant, grossier, blessant, indigne et finalement raciste à l'encontre des musulmans ». Afin de la démontrer, cinq pages d'extraits particulièrement illustratifs sont jointes à la plainte adressée jeudi au procureur général. Ce dernier réserve sa décision, le temps de lire l'ouvrage et d'examiner la question du for juridique ; car si les personnes qui se sentent lésées sont à Genève, l'auteur est à New York, l'éditeur en Italie et le distributeur suisse à Lausanne.

«Les journalistes qui créent un débat autour de ce livre» sont, à en lire le contenu de la plainte pénale, également dans la ligne de mire. Une pratique peu courante. Délibérément provocateur, le bouquin a fait l'objet d'un article, le 4 juin dernier, dans Le Temps qui titrait « Polémique : Oriana Fallaci publie un pamphlet haineux contre les musulmans». Cet article est en réalité à l'origine de la réaction du Centre islamique. «Je n'avais pas lu le livre avant, explique Hani Ramadan. En donnant, sur une page, une telle publicité à une littérature aussi nauséabonde, les journalistes font de la promotion à leur façon. Et cela même s'ils émettent des réserves. IL devrait y avoir un débat sur la responsabilité déontologique de la presse. Comment faire de l'information dans ce genre d'affaires sans, d'une manière ou d'une autre, épouser la thèse de l'auteur ?»

Mais que dire de la publicité qu'une telle plainte pénale &endash; respectivement du procès &endash; donne à l'ouvrage tant décrié ? « Nous y avons réfléchi. Mais le Comité pour le respect du droit des musulmans a choisi à l'unanimité d'aller de l'avant. De toute façon la publicité est déjà faite. Il se vend comme de petits pains. Et Oriana Fallaci a dépassé les bornes du tolérable. »

Laurence Naef


Le Temps, 28 juin 2002 :
Les hésitations de la Licra à propos du brûlot d'Oriana Fallaci

Alors qu'en France la Licra s'est engagée dès le premier jour, son homologue en Suisse a hésité sur la «meilleure manière d'agir». Elle va condamner l'ouvrage, mais n'agira pas en justice.

Le contraste est frappant. En France, la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) s'est associé au combat judiciaire contre le livre au vitriol de la journaliste italienne domiciliée à New York Oriana Fallaci, La Rage et l'orgueil. En Suisse ? Silence. La Licra française est certes quelque peu en retrait par rapport au Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, dans la mesure où elle ne demande pas l'interdiction provisoire du livre, mais l'insertion d'un avertissement au lecteur. Les représentants français de la Licra n'en ont pas mois condamné l'ouvrage dès le premier jour. Leurs homologues suisses s'apprêtent certes à diffuser un communiqué mais ne l'avaient pas encore fait jeudi. La Licra n'agira toutefois pas en justice, ne pouvant bénéfier de la qualité de partie civile dans ce contexte, explique l'avocat genevois Philippe Grumbach, membre du comité suisse de la Licra. En revanche, une dénonciation pénale est toujours possible.

Une plainte pénale a été déposée au début de ce mois, pour discrimination raciale, par le Centre islamique de Genève, rejoint cette semaine par l'association romande Acor Sos-Racisme, qui demande des mesures urgentes tendant à l'interdiction du livre. La diffusion de cet ouvrage représentait, pour les organisations antiracistes, un cas un peu particulier. Ce n'était pas le rédsionnisme de Garaudy ou d'Amaudruz, mais le texte d'une journaliste de renom, cataloguée à gauche, intervieweuse redoutée de quelques grands de la planète. «Se éructe sur 200 pages», écrit Françoise Giroud dans leNouvel Observateur, qui reconnait néanmoins à sa consoeur un talent «digne de Céline». Ce talent, l'ltaliennee l'a également utilisé pour écrire dans la presse de son pays un vibrant plaidoyer pro-israélien dont on peut lire une traduction sur le site Internet de la Coordination intercommunaumire contre l'antisémitisme et la diffamation (Cicad), à Genève, présidée par le même Philippe Grumbach. Les choses n'étaient donc pas exactement simples.

La passivité de la Licra, jusqu'ici, n'a rien à voir avec une quelconque sympathie pour Oriana Fallaci, se défend son président, Alexandre Mariéthoz. Mais elle traduit «les hésitations des membres du comité quant à la meilleure manière d'agir» qui se sont révélées lors d'une consultation interne. Les membres du comité entendaient accorder la priorité au travail de terrain sur une dénonciation de l'ouvrage ou une action en justice. «Dans la mesure où le Centre islamique de Genève agissait et où la Licra ne disposait pas de la qualité pour agir, une intervention en justice de notre part ne semblait pas opportune», explique Alexandre Mariéthoz, qui rappelle les actions entreprise récemment conne l'islamophobie. Fallait-il dénoncer sans pouvoir agir en justice ? Sur ce point la loi a certes été modifiée récemment à Genève, mais cette révision ne reconnait expressément la qualité de partie civile aux organisations antiracistes que dans les procès pour négationisme.

Ces hésitations n'en traduisaient pas moins des attitudes très différentes. Membre du comité, Boël Sambuc, par ailleurs vice-présidente de la Commission fédérale contre le racisme ordinaire, estimait que «nous n'avions pas à intervenir pour le moment, qu'il faut le faire contre le racisme ordinaire, sur le terrain - et il y en a contre les musulmans. Le racisme ordinaire doit se combattre par des débats, par une sensibilisation, pas par la censure. S'agissant d'un négationnisme, c'est différent. C'est un mensonge qui touche toute la communauté et nous avons agi en justice parce que personne d'autre ne le faisait.»

Le silence risquait toutefois de faire naître le soupçon que la Licra ne traitait pas le racisme exactement de la même manière selon qu'il visait les communautés arabe ou juive, compte tenu, surtout, de l'engagement déterminé de la Licra contre plusieurs ouvrages révisionnistes. Philippe Grumbach ne reste pas insensible à cet argument : «Il y a dans ce livre des passages totalement inacceptables et contraires à la loi. Nous ne pouvons rester sans réagir. Il ne peut y avoir deux poids, deux mesures. ». Pour sa part, Boël Sambuc rejette fermement l'idée qu'elle-même ou d'autres, à la Licra, aient pu se laisser aller à une différence de traitement Elle reconnaît néanmoins que la Licra possède certaines «pesanteurs historiques» qui la placent dans une situation différente de son pendant français, évoluant dans une société plus sensibilisée à la présence del'Islam.

Le directeur du Centre islamique de Genève, Hani Ramadan, se félicite du soutien d'Acor Sos-Racisme et appelle les organisations antiracistes à agir ensemble. Il note toutefois que si un ouvrage, au lieu de parler des «fils d'Allan», invectivait les «fils d'Israël», la réaction de la Licra n'aurait probablement fait aucun doute.

Denis Masmejan


Asharq Al-Awsat, june 21st 2002

ASHARQ 21june2002

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