Arrêtons de confondre la critique et l’insulte

Le procès qui se déroule actuellement à Paris nous ramène au triste épisode des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper-Cacher. Une foule immense s’était levée pour défendre le droit au blasphème, comme s’il en allait de l’âme française touchée au plus vif de ses revendications de liberté, face au terrorisme qualifié d’islamiste. On a caricaturé « Mahomet », et voilà que l’on présente à nouveau ces dessins pour dire encore et toujours « non » à l’obscurantisme religieux. Et pourtant, il règne comme un malaise dans tout cela, malaise que bien des esprits aguerris ressentent : Charlie Hebdo ne gagne jamais autant d’argent pour renflouer sa caisse que lorsqu’il publie ces caricatures. Il en va de même d’un certain nombre de revues qui voient leurs ventes grimper lorsqu’elles fustigent ouvertement le danger que représente désormais l’islam. À cet avantage pécuniaire s’ajoute un procédé particulièrement virulent, qui ne ménage pas les sentiments profondément religieux des musulmans : on confond la critique d’une religion, parfaitement légitime quand elle vise un débat constructif, et l’insulte qui blesse, qui fait mal et qui n’aide certainement pas les citoyens d’un pays à vivre dans l’apaisement et le dialogue.

Car en fin de compte, c’est bien cela qui doit être pris en considération : pourquoi injurier, blasphémer, s’en prendre de façon outrancière à ce qui est cher à nos voisins ? Nous n’admettons pas ainsi que l’on se moque des victimes de la shoah, et nous avons raison. La liberté d’expression n’est légitime que si elle se tient à une limite qu’elle est tenue de ne pas transgresser : cette limite s’appelle la dignité de nos semblables. Face à ce miroir qui devrait nous permettre d’apprécier notre prochain, qui crache, crache toujours contre le vent. Et que l’on nous épargne l’évocation hypocrite de la différence subtile que l’on prétend faire entre les individus et les croyances. Une insulte est une insulte qui est adressée aux vivants, en réalité – jamais à une doctrine.

Le bon sens du pape François est à ce titre appréciable. Estimant qu’on ne peut pas tout dire, il avait affirmé un jour sans détour : « Si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing. » Percutant.

Bien sûr, tous nous condamnons ces attentats, mais – et je dis bien mais – nous nous opposons à cette violence meurtrière précisément parce que la seule voie civilisatrice qui s’offre à nous désormais est celle du dialogue respectueux, et non pas celle des invectives haineuses.

 Hani RAMADAN

Directeur du Centre Islamique de Genève

Tribune de Genève, Opinion, 30 septembre 2020


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